Dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité devant le tribunal correctionnel de Montpellier

En France, la Constitution du 4 octobre 1958 a institué le Conseil constitutionnel chargé de veiller à la régularité des lois par rapport à la Constitution.

En 1971, par une décision « Liberté d’Association » le Conseil constitutionnel crée le « bloc de constitutionnalité » c’est à dire un ensemble de normes ayant la même « valeur » que la constitution.

Y figurent notamment la Constitution, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’Environnement.

Ainsi, les lois qui sont présentées au Conseil constitutionnel doivent être conformes à la loi à la Constitution mais également à l’ensemble de ces règles.

Initialement, seul le Président de la République, le Premier Ministre et les Présidents des deux assemblées (Assemblée Nationale et Sénat) pouvaient saisir le Conseil constitutionnel.

En 1974, la saisine a été élargie et ouverte à 60 députés, ou 60 sénateurs.

En 2008, une révision constitutionnelle a institué la question prioritaire de constitutionnalité.

Ce mécanisme permet de demander à une juridiction d’interroger le Conseil constitutionnel sur la conformité d’une disposition à la Constitution et au bloc de constitutionnalité.

Pour cela, trois critères de recevabilité sont requis :

1°) la disposition en question doit être applicable au litige ;

2°) la disposition ne doit pas avoir été déjà déclarée conforme par le Conseil constitutionnel ;

3°) la question doit présenter un caractère sérieux ;

Si ces conditions sont réunies, la juridiction saisie de la question la transmet à la Cour de cassation qui décidera, ou non, de la transmettre au Conseil constitutionnel pour examen de sa régularité.

À l’occasion d’une comparution immédiate le vendredi 10 avril 2020, un prévenu était poursuivi pour violation réitérée du confinement, selon l’article L3136-1, alinéa 4 du Code de la santé publique.

Cette audience a permis le dépôt par Maître DAVID, devant le tribunal correctionnel de Montpellier d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) s’agissant de la régularité de ce texte à la Constitution et aux normes à valeur constitutionnelle.

Trois arguments majeurs ont été développés à l’appui de cette question.

Le premier point repose sur le non respect de la séparation des pouvoirs.

Selon l’article 34 de la Constitution, il appartient à la loi (donc au Parlement) de déterminer les éléments constitutifs d’un délit.

Selon l’article 37, il appartient au règlement (donc au Gouvernement) de déterminer les éléments constitutifs d’une contravention.

Or, dans ce cas, la difficulté relève du fait que la constitution du délit se fait par renvoi à la contravention puisqu’il s’agit d’avoir été verbalisé plus de trois fois.

Le délit aurait été correctement caractérisé si la loi avait précisément déterminé les éléments constitutifs du délit, sans renvoyer au fait qu’il est constitué dès lors que la contravention est constatée plusieurs fois dans un certain délai.

Le second argument repose sur le non respect de la présomption d’innocence contenu, notamment à l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

En effet, le délit suppose plus de trois verbalisations dans un délai de 30 jours.

Or, toute contravention peut être contestée dans un délai de 45 jours et, compte tenu du doublement de tous les délais de recours pour cause d’état d’urgence sanitaire, ce délai est actuellement de 90 jours.

En l’état, le fait de condamner pour ce délit avant l’expiration d’un délai de 90 jours constitue une atteinte à la présomption d’innocence.

En effet, un prévenu pourrait contester les contraventions, être condamné pour le délit et voir par la suite les contraventions annulées par le tribunal de police.

Se poserait alors un problème de sécurité juridique : la personne a été condamnée pour le délit de répétition de contraventions alors même que ces contraventions ont été annulées et, donc, n’existent plus …

La solution serait pour le Ministère public de convoquer les personnes devant le tribunal dans un délai supérieur à 90 jours afin de s’assurer que les contraventions ont un caractère définitif.

Enfin, le dernier point repose sur le fait que les dispositions ne sont pas suffisamment claires, intelligibles et accessibles.

Ce principe découle des articles 4, 5 et 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

En effet, le décret ayant créé la contravention a été modifié trois fois en une semaine.

Par ailleurs, le terme de verbalisation ne correspond à aucune situation juridique et ne fait aucune référence au caractère définitif ou non de cette contravention.

En présence d’un délit dont les conditions ne sont pas suffisamment claires, il y a un risque d’arbitraire contraire à la Constitution.

Le Tribunal correctionnel de Montpellier, le 10 avril 2020, estimant la question sérieuse a acté la transmission de celle-ci à la Cour de cassation.

A réception, la Cour de cassation dispose d’un délai de trois mois pour décider de la transmission, ou non, au Conseil constitutionnel qui disposera également d’un délai de trois mois pour statuer sur la conformité, ou non, de ces dispositions à la Constitution.

Si le texte est déclaré inconstitutionnel, il sera abrogé et aucune poursuite ne pourra être engagée sur ce fondement.

Instauration de la Cour Criminelle Départementale dans l’Hérault

En France, les infractions les plus graves, les crimes (passibles d’au moins quinze ans de réclusion criminelle et jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité) sont jugées par les Cour d’Assises.

Il existe une Cour d’Assises par département.

Cette Cour est composée d’un Président, de deux assesseurs et d’un jury populaire, tiré au sort sur les listes électorales (six personnes en première instance et neuf en appel).

De par la gravité des faits et les peines encourues, les procès en cours d’assises durent souvent sur plusieurs jours, voire sur plusieurs semaines.

Il se crée ainsi un stock de dossiers criminels en attente de jugement engendrant des délais de jugement très longs, jusqu’à plusieurs années.

Aussi, l’article 63 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 a institué, à l’essai, des Cours Criminelles Départementales pendant une durée de trois ans, dans huit départements dont la liste a été fixée par arrêté du 25 avril 2019 (Ardennes, Calvados, Cher, Moselle, Réunion, Seine-Maritime, Yvelines).

Depuis, un arrêté du 2 mars 2020 a étendu l’expérimentation de la Cour Criminelle Départementale aux départements de l’Hérault et des Pyrénées-Atlantiques.

Les premières audiences de la Cour Criminelle Départementale de l’Hérault devraient intervenir au mois de septembre 2020.

Concrètement, cette Cour Criminelle Départementale ne peut pas connaître de l’ensemble des crimes.

En effet, la Cour ne pourra juger que les affaires dans lesquelles l’accusé encourt une peine de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, les autres infractions restent de la compétence de la Cour d’Assises.

Par ailleurs, la Cour ne pourra pas connaître des affaires dans lesquelles l’accusé est en état de récidive légale (le maximum légal encouru est alors multiplié par deux) ou des affaires en appel (les appels des décisions des Cours Criminelles Départementales sont examinés par les Cour d’Assises « classiques »).

Elle ne pourra pas non-plus statuer si l’un ou plusieurs des co-accusés ne répondent pas à ces critères.

En pratique, le principal changement réside dans la disparition du jury populaire.

La Cour ne sera en effet composée que de magistrats professionnels (un Président et quatre assesseurs).

Par ailleurs, la décision de condamnation ne doit pas être prise à une majorité qualifiée, mais à une majorité simple (trois voix au minimum).

De plus, alors que devant la Cour d’Assises, la Cour et le jury se retirent pour délibérer sans le dossier de la procédure (seulement avec les notes qu’ils ont pu prendre pendant l’audience, ou leurs souvenirs), il en va différemment de la Cour Criminelle. Le texte prévoit en effet que les cinq juges se retirent pour délibérer avec le dossier.

Enfin, les délais de procédure sont raccourcis.

Un accusé devant la Cour d’Assises (lorsqu’il est détenu) doit comparaître dans un délai d’un an à compter de l’ordonnance de mise en accusation (ce délai peut être prorogé de six mois, puis exceptionnellement, de nouveau pour six mois, soit un total de deux ans) faute de quoi il est remis en liberté.

En revanche, en matière de Cour Criminelle Départementale, ce délai est de six mois, renouvelable une seule fois (soit un total d’un an).

Pour certains, la mise en place des Cours Criminelles Départementales n’est pas souhaitable, la Justice étant rendue « au nom du peuple français » la Cour d’Assises reste la dernière juridiction dans laquelle la Justice est rendue par le peuple français.

D’ailleurs, jusqu’en 2000, il n’était pas possible d’interjeter appel des arrêts de Cour d’Assises, les jurys populaires étant réputés « infaillibles ».

D’autres, en revanche, notamment François SAINT-PIERRE, Avocat spécialiste en droit pénal, du Barreau de Lyon, n’y est pas opposé, considérant les Cours d’Assises comme des « machines à prononcer la peine de mort ».

Tenant la disparition de la peine capitale, le maintien de la juridiction populaire qui légitime cette peine ne se justifie plus.

La critique principale de Maître SAINT-PIERRE réside dans la cohabitation des jurés populaires (dont le nombre n’a eu de cesse de diminuer s’établissant aujourd’hui à six en première instance) avec les magistrats professionnels et en particulier le Président de la Cour d’Assises (le seul à avoir pris connaissance du dossier auparavant et chargé de l’interrogatoire de l’accusé et des témoins).

A l’aube de l’apparition de cette nouvelle juridiction, le temps et l’analyse des décisions rendues par les Cours Criminelles Départementales permettront d’en préciser l’efficacité, en conservant toutefois l’idée que le procès équitable reste une garantie donnée par l’Etat de droit à l’accusé, auquel le doute doit bénéficier.

La période d’expérimentation a été fixée à trois ans et un rapport d’évaluation devra être présenté six mois avant l’expiration de cette période, l’occasion de déterminer si les Cours Criminelles Départementales doivent être généralisées ou disparaître avant d’avoir eu l’occasion de perdurer.

Des précisions sur l’aménagement de peine ab initio

En matière correctionnelle, il existe deux possibilités d’aménagement d’une peine ferme prononcée par le tribunal.

Soit le condamné est condamné ultérieurement par un juge de l’application des peines (JAP) pour une mesure d’aménagement, soit le tribunal peut prononcer la peine et organiser dès le prononcé son aménagement, il s’agit de l’aménagement ab initio (dès le début)

Trop souvent, les juridictions n’utilisent pas cette faculté considérant qu’il n’est pas possible de vérifier sur l’audience les conditions matérielles permettant un aménagement (existence d’un domicile, horaires de travail pour la mise en place d’un bracelet électronique …).

La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt, le 9 avril 2019 (pourvoi n° 18-83.874) apportant des précisions quant à cette faculté d’aménagement par la juridiction de jugement.

Dans le cas d’espèce, un prévenu est condamné, en son absence, par le tribunal correctionnel pour des faits d’outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique, rébellion et usage de stupéfiants.

La condamnation ayant été prononcée en son absence, aucun aménagement de peine n’a pas été pris par la juridiction.

L’intéressé a relevé appel de cette décision et a comparu devant la Cour d’Appel qui a confirmé le principe de la condamnation, le quantum de la peine prononcée et le refus d’aménager la peine considérant que « la cour est dans l’impossibilité matérielle d’ordonner un tel aménagement en l’absence d’élément précis sur la situation professionnelle de l’intéressé, notamment quant à ses horaires de travail et lieux d’exercice de sa profession ».

La Chambre criminelle de la Cour de cassation va censurer cet arrêt de la Cour d’Appel en retenant que « Monsieur X, présent à l’audience, pouvait répondre à toutes les questions des juges leur permettant d’apprécier la faisabilité d’une mesure d’aménagement, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. ».

La Cour de cassation adopte ainsi une position très « pratique » vis-à-vis de l’aménagement des peines.

En effet, même si un prévenu comparaît sans les justificatifs de sa situation, il peut répondre aux questions des juges qui devront alors motiver, en fonction de ses réponses, l’impossibilité d’aménager la peine ab initio.

Cet arrêt devrait permettre un recours plus fréquent à l’aménagement de peine prononcé par le tribunal et éviter le recours quasi-systématique au juge de l’application des peines.

Reste à voir comment cette décision sera reçue et mise en œuvre par les juridictions de jugement, souvent saturées de dossiers …

La Cour de cassation précise la notion de viol par surprise

Le texte incriminant le viol dans le Code pénal (article 222-23, alinéa 1) dispose que :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. ».

Dans un arrêt du 23 janvier 2019 (pourvoi n° 18-82833) la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé la notion de viol par surprise.

Dans cette affaire, un homme est mis en examen pour des faits de viol pour avoir complété un profil avec de fausses informations sur un site de rencontres en ligne : « I… B… », 37 ans, 1,78 m, architecte d’intérieur travaillant à Monaco, demeurant à Nice ».

Il avait également joint une photo qui avait joint une photo censée le représenter.

Après avoir développé une relation épistolaire et téléphonique avec des femmes, il les invitait à son domicile en leur proposant un scénario : la femme devait entrer dans le domicile, les yeux bandés, se laisser guider par sa voie.

Il l’attacherait alors aux montants du lit et aurait une relation sexuelle avec elle.

Il a été établi que l’homme avait répété ce schéma auprès de plusieurs femmes.

Une fois la relation sexuelle achevée, il retirait le bandeau des yeux des femmes qui découvraient alors la réalité, l’homme était « un vieil homme à la peau fripée et au ventre bedonnant ».

Les investigations entreprises ont permis de découvrir qu’ « I… B… » était en réalité Monsieur Z., 68 ans.

Le juge d’instruction a renvoyé Monsieur Z devant la Cour d’Assises du chef du viol, ce dernier a interjeté appel.

La Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a infirmé l’ordonnance en retenant notamment que « si le stratagème utilisé a pu incontestablement constituer un moyen pour amener les plaignantes à se présenter au domicile de M. Z…, elles avaient accepté d’avoir une relation sexuelle au domicile d’un nommé « I… B… », suivant un scénario élaboré par celui-ci, qu’elles étaient capables d’analyser une situation pour le moins « originale » et le cas échéant, de s’y dérober, aucune contrainte ou menace sérieuse n’étant exercées contre elles ; qu’à l’issue, elles savaient que le bandeau leur serait enlevé ».

La Chambre de l’Instruction énonce ainsi que la surprise ne peut être assimilée au sentiment d’étonnement ou de stupéfaction des plaignantes lors de la découverte des caractéristiques physiques de leur partenaire.

C’est cette motivation qui est cassée par la chambre criminelle dans un attendu de principe qui caractérise la surprise au sens de l’article 222-23 du Code pénal en indiquant :

« Attendu que l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise au sens du texte susvisé. ».

La Cour de cassation a donc cassé l’arrêt de la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence et a renvoyé l’affaire devant la Chambre de l’Instruction de Montpellier.

Reste à savoir si la Cour d’Appel de renvoi fera une application de l’attendu de principe de la Chambre criminelle et renverra Monsieur Z devant la Cour d’Assises du chef de viol commis par surprise selon la nouvelle acception de la Cour de cassation.

De l’importance de l’expertise psychiatrique en matière pénale

La Cour d’Appel de Montpellier vient de rendre un arrêt en matière correctionnelle rappelant l’importance de l’expertise psychiatrique lors du jugement des infractions (arrêt du 11 mars 2019).

Le 9 novembre 2018, Monsieur Sébastien D. est condamné par le tribunal correctionnel de Béziers à la peine de 10 ans d’emprisonnement ferme avec maintien en détention.

Lors de la garde à vue avant le jugement, Monsieur D. indique aux enquêteurs qu’il est schizophrène.

Pour autant, aucune expertise n’est réalisée pendant la garde à vue ni avant le procès.

Lors de son procès en appel, le Conseil de Monsieur D. renseigne à la Cour que lors d’une précédente affaire, un expert psychiatre a rencontré son client et a conclu a une altération du discernement.

L’Expert psychiatre ne relevait aucun trouble schizophrénique mais une personnalité border line et une entrave au contrôle des actes.

Bien qu’ayant été réalisée plus de six mois avant les faits (en mai 2018) les magistrats de la Cour d’Appel ont estimé qu’il n’était pas possible de faire abstraction des conclusions de l’Expert ayant considéré que Monsieur D. n’était pas entièrement responsable de ses actes.

Dans ces conditions, la Cour d’Appel a confirmé la culpabilité du prévenu mais a réformé la décision quant à la peine prononcée.

Monsieur D. a été condamné à une peine de 5 ans d’emprisonnement ferme avec maintien en détention, notamment en raison des conclusions de l’Expert.

Ainsi, la Cour d’Appel n’a pas hésité à prendre en compte un élément de personnalité qui avait été sollicité à l’occasion d’une autre affaire mais concernant la même personne.

Cette décision rappelle, si besoin était, de l’importance d’une expertise psychiatrique en matière pénale, même en l’absence de diagnostic formel.